« C’est dégradant, les mots me manquent », lâche Adoum. Comme des centaines d’autres, ce jeune tchadien poireaute devant la préfecture de Nanterre pour renouveler sa carte de séjour. A StreetPress, ils sont plusieurs à raconter leurs nuits de galère.
Nanterre (92) - La nuit tombe sur la centaine de personnes qui attendent à même le sol devant les grilles de la préfecture, ce mardi 20 juillet. Ce soir, il y a foule. Travailleurs immigrés, étrangers en instance de naturalisation : tous sont là pour renouveler leurs titres de séjour.
Certains font la file depuis plusieurs jours déjà. Thibaud, 43 ans, sourire aux lèvres est là pour sa femme. Arrivé à 15h, il s’apprête à passer sa deuxième nuit d’affilée aux portes de la préfecture. Son épouse, Nidal, viendra le relayer dès les premières lueurs du jour. La jeune femme vit en France depuis 3 ans. Elle travaille dans un grand groupe à la Défense. Cela fait 9 mois qu’elle a demandé le renouvellement de sa carte de séjour. Sans succès.
VIVE LES VACANCES
A minuit, alors que le soleil s’est couché, la file ne désemplit pas. Pour éviter les tensions, Thibaud tient une liste d’attente officieuse :
« Ca évite aux gens de se faufiler dans la file au dernier moment ou de vendre leur place, parfois à 250€. »
Dans la queue, les conditions d’attentes sont spartiates. « Il n’y a ni toilettes, ni distribution d’eau », déplore une jeune femme, la vingtaine. Pour se soulager, un bosquet à 100 m fait donc office de water closet. Pour l’eau, les gens comptent sur la générosité des riverains.
Ce soir là, Mohamed, 36 ans, commerçant dans le quartier, dépose avec un ami des dizaines de bouteilles d’eau fraîches gratuitement. « Touché » il fait cela « avec le coeur ». Ce n’est pas la première fois que l’homme vient aider :
« Ca fait 3 mois que ça dure »
« On a un gros rush avant et pendant les vacances », explique t-on du côté de la préfecture :
« Avec ceux qui veulent partir et doivent refaire au dernier moment tous leurs papiers au détriment des autres personnes qui attendent aussi. »
La préf a d’ailleurs publié un communiqué de presse datant de 23 juin intimant aux personnes dont les demandes ne seraient pas urgentes de patienter jusqu’en septembre.
ADOUM EST DOS AU MUR
Sauf que certains ne peuvent pas attendre. Adoum est de ceux là. Le jeune tchadien, chemise blanche impeccable sur le dos, est arrivé en France en 2013. Il est prof de maths au collège Jules Vernes dans le 12e. « J’ai fait ma demande de changement de statut d’étudiant à salarié en mars et je n’ai toujours aucune nouvelle ». Aujourd’hui, Adoum est au pied du mur. Son contrat se termine dans un mois. Il craint alors que son dossier ne soit examiné trop tard :
« Si je ne suis plus sous contrat mon dossier sera refusé et je serai sans-papiers. Quand on est sans papiers dans ce pays, on n’existe pas. »
Arrivé à 21h, il s’apprête à passer sa cinquième nuit dehors. « Là, vous voyez des gens qui dorment contre une plaque ou c’est mentionné ‘place des droits de l’homme’ », s’énerve t-il tout en montrant un petit muret contre lequel sont adossés trois camarades d’infortune :
« Nous sollicitons un traitement beaucoup plus digne. C’est dégradant, les mots me manquent. »
Après des heures de queue, le jeune homme apprend que son dossier n’est toujours pas traité… et qu’il devra revenir la semaine suivante.
DEUX POIDS, DEUX MESURES
6h30, le soleil se lève. Encore une nouvelle journée. Les gens sont épuisés. La queue compte désormais plus de 500 âmes. Parmi eux des enfants en bas âge. Un jeune garçon de 15 ans environ, survet’ rouge, pousse un chariot avec du café et du thé vendu à 50 centimes. Depuis le début des vacances il vient chaque matin pour se faire un peu d’argent. « Tu veux un sucre avec l’ami ? », interroge t-il un jeune homme qui vient de lui acheter un café.
Autour d’une boisson chaude, les esprits se réveillent difficilement dans l’attente de l’ouverture des grilles. Certains craignent des tensions à l’ouverture. D’autres ne décolèrent pas de la nuit qu’ils viennent de passer.
« En France, on nous parle du digital, d’innovation mais nous, on fait la queue toute la nuit sans toilettes. »
« IL Y A QUELQUES JOURS C’ÉTAIT LE BORDEL TOTAL »
A 8h, 5 policiers se mettent en place en plus des 3 agents de la préfecture. Les portes ouvrent dans une heure. Dans le calme, deux files se mettent un place. La première, interminable avec plus de 700 personnes, est pour l’accès aux étrangers sans rendez-vous. L’autre, assez courte, est pour ceux ayant un rendez vous ou toute autre requête administrative.
Tant bien que mal, les policiers et les agents essaient de guider ce petit monde. Eux aussi sont fatigués par cette situation. « Aujourd’hui c’est calme mais il y a quelques jours c’était le bordel total », lâche l’un d’entre eux quand StreetPress lui tape la discute. Il est 9h. Les portes ouvrent. Les gens avancent dix par dix dans le calme. Chacun espère obtenir un ticket à l’entrée garantissant d’être reçu à la préfecture. Trois heures plus tard, les portes ferment.
La file se reforme.