dimanche 30 juillet 2017

La présence policière a été renforcée "Il y a des business de ouf ici" a Prefecture de Nanterre


"Elle m'a proposé de me revendre sa place"

100€ la place ! A la préfecture de Nanterre, le trafic prospère sur le dos des immigrés

Devant la préfecture de Nanterre, des centaines d'immigrés attendent chaque jour dehors, parfois la nuit entière, de pouvoir être reçus et renouveler leur titre de séjour. Profitant de la forte affluence et de la détresse des usagers, certains sont accusés de venir faire la queue uniquement pour revendre (très cher) leur place... Reportage.
Le jour se lève à peine mais la foule est déjà compacte. Devant la préfecture de Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, des centaines de personnes - sans rendez-vous - attendent, s’impatientent, désespèrent de pouvoir renouveler leur titre de séjour à temps, avant qu’il n’expire. Etrangers en situation régulière, ils campent jour et nuit, dehors, pendant des heures et des heures, derrière des barrières métalliques, munis de couvertures quand il fait trop froid, d’éventails en carton quand il fait trop chaud, pour être sûrs d’être reçus dès l’ouverture, à neuf heures, alors que la préfecture croule sous les demandes.
Parmi les premiers arrivés ce mercredi, Dounia*, la vingtaine. La jeune fille au visage rond et à la voix douce confie avoir fait la queue comme beaucoup d'autres toute la nuit pour "dépanner sa belle-sœur" Feng*, d’origine asiatique. Celle-ci, sur place depuis seulement quelques minutes lorsque les portes s’ouvrent enfin, s’apprête à rejoindre Dounia dans la file d’attente en passant par dessus les barrières lorsque derrière elles, plusieurs hommes les invectivent violemment.
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Rapidement le ton monte. "Quoi, qu’est-ce qu’il y a ? J’ai fait la queue ou pas ? C’est ma belle sœur, je lui donne ma place", leur assène Dounia dans une colère noire, sous son voile et son gros manteau. Après quelques minutes, la tension redescend mais la scène a du mal à passer. Car depuis plusieurs semaines, certains sont accusés de prospérer sur la détresse des gens en revendant très cher "leur" place. "Faiseurs de queue" professionnels, ils monnayeraient ainsi contre une centaine d’euros les précieuses places du début de file, les seules garantissant de pouvoir être pris, sans rendez-vous, le jour même à la préfecture.

"Elle m'a proposé de me revendre sa place"

A l’intérieur de l’établissement, les premiers usagers se présentent quant à eux aux guichets dans le calme. Il est tout juste 10h, des centaines de personnes attendent toujours dehors mais Feng, la "belle-sœur" de Dounia, a bientôt fini ses démarches. Elle accepte de témoigner à condition de rester anonyme. "Je ne suis pas fière, entame-t-elle. Je suis arrivée à 8h45 tranquillement. J’étais dans la queue, tout au fond. Une jeune fille est venue m’aborder. Elle m’a proposé de me revendre sa place. Au départ, elle voulait 100 euros. J’ai négocié. J’ai payé autour de 80".
Gênée, Feng poursuit, essaie de se justifier. "D’une certaine manière c’est la monétisation d’un service. Avec mon travail, je peux me le permettre, je gagne bien ma vie. D’ailleurs le prix proposé est raisonnable. La jeune fille dit être arrivée à 17h la veille. Si elle a attendu toute la nuit ça fait plus de douze heures de travail. Ce n’est pas si cher payé sauf pour les autres personnes qui attendent toujours et qui sont arrivées avant moi".
"Il y a des business de ouf ici", confirme à l’extérieur un jeune, casque de scooter sur la tête, debout, près des barrières métalliques. "Il y a des gens ils se font un SMIC par jour", ajoute Ahmed, un jeune homme affable de 18 ans venu faire la queue, dit-il, pour "son grand-père malade". Assis face à l’entrée avec un groupe de copains qui fume la chicha, Ahmed, qui semble bien informé, détaille volontiers la combine.
Le principe serait simple. Les premiers arrivés à la préfecture, ceux qui n’ont pas de convocation, s’attribuent officieusement un numéro de passage en fonction de leur ordre d’arrivée. Les convoqués sont, eux, répartis dans une autre file d’attente. Seulement, selon Ahmed, l’ordre de passage des "sans rendez-vous" n’est pas respecté. En cause, les places mises de côté par certains faiseurs de queue pour les revendre. Assise près de lui, une jeune femme attend, silencieuse. C’est Dounia que nous retrouvons. Un peu plus tôt, Feng l’a désignée comme sa "vendeuse" mais la jeune fille nie les accusations.
"Il y a des business de ouf ici"

La présence policière a été renforcée 

"C’est de l’entraide. J’habite à côté, je suis venue aider ma voisine, je suis en vacances, j’ai le temps", explique en effet Dounia. Ahmed, jogging kaki et thé à la main, abonde dans son sens, peu convaincant. "On fait ça pour la famille, vendre des places, ça se fait pas, meskine**, il y a des grands-mères qui dorment ici". A aucun moment le jeune homme n’ira retrouver son "grand-père" dans la queue. Combien sont-ils, comme eux, soupçonnés de revendre leur place ? Dans la file d'attente, les témoignages se multiplient.
"Un fois, une dame a payé 400 euros pour passer parce que son titre de séjour arrivait à terme et qu'elle risquait de perdre son travail. (…) Ceux qui revendent les places, ils disent : 'on n'a pas d’argent, on n'a pas de papiers, on ne peut pas travailler' . (…) Ce matin il y a une femme qui a payé 50 euros et ensuite elle ne retrouvait pas la place qu’on lui avait donnée dans la queue, elle disait 'ah moi je bouge pas, j’ai payé'…"
Alertée, la préfecture de Nanterre indique à Marianne que "les services de police ont été saisis par le préfet et la présence policière a été renforcée le long des files d’attente" afin de dissuader les revendeurs de places. Pour expliquer les raisons d’une telle affluence, les autorités avancent différents facteurs : la période estivale ou encore l’accueil temporaire à Nanterre des usagers de la sous-préfecture d’Antony, fermée cet automne suite à un incendie et réouverte en début d’année. L’application nationale de gestion des dossiers des ressortissants étrangers (AGDREF), a par ailleurs été "inopérante à plusieurs reprises".
Sur place, le dispositif d'accueil a également été modifié afin de limiter l’attente des usagers à travers, entre autres, la mise en place de "files spécifiques", selon que la personne ait, ou non, un rendez-vous, qu'elle cherche à accéder à un autre service de l'Etat, etc. "Depuis mi-juin, le service du séjour des étrangers ne laisse rentrer de surcroît que le nombre de personnes qu’elle peut recevoir dans la journée (entre 650 et 700 personnes toutes démarches confondues)", assure la préfecture avant d'ajouter que "des rendez-vous d’urgence sont donnés pour les personnes dont les récépissés ont expiré".
Malgré ces mesures, la file d’attente ne tarit pas devant la préfecture. Entre les cartons posés à même le sol, utilisés comme lits de fortune, des centaines d'immigrés continuent d'attendre, pendant des heures, des jours parfois, les yeux rouges, le visage groggy, marqué par la fatigue et l'inquiétude. Installés à côté des barrières métalliques, ce mercredi, Ahmed, Dounia et leur petit groupe d'amis attendent eux aussi lorsqu'ils sont approchés par un monsieur, lunettes de soleil, la quarantaine : "C'est combien la place ?"
* Les noms ont été changé
** Meskine : Les pauvres

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